dimanche 20 mai 2007

603 - De l'enclume à la plume

Autrefois j'arpentais l'Avenue des Champs-Elysées entre février et avril, ma carriole pleine d'enclumes, en quête d'hypothétiques clients. Je hélais avec hauteur et courtoisie les passants, l'air excessivement guindé. Dépité de ne jamais rien vendre, j'attrapais parfois un touriste japonais ou allemand par le bras en lui montrant ma cargaison avec un regard complice plein de concupiscence. Rien n'y faisait. Mes enclumes n'intéressaient personne. Je changeais de quartier. Sous la Tour Eiffel je faisais du zèle auprès des groupes de visiteurs surpris. En vain. Alors il m'arrivait de pousser jusqu'à la cathédrale Notre-Dame où les touristes étaient plus disposés, pensais-je, à m'acheter un ou deux souvenirs. On me prenait en photo, beaucoup de gens étonnés ou amusés m'interrogeaient sur mon commerce. Et même il arrivait que l'on me chassât du parvis. Mais jamais on ne m'achetait d'enclumes.

Quatre saisons durant j'ai exercé ce métier ingrat, toujours entre février et avril, les seuls mois où je pouvais espérer gagner mon pain en vendant aux étrangers ces babioles. En quatre saisons de persévérance, je n'ai pas vendu une seule enclume. Las de ce métier de fou, je me suis fait rentier à vie. Depuis je vis légèrement ne me consacrant plus qu'à l'écriture, sans plus de soucis, mon stock d'enclumes au grenier.

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